Récolte des olives 2015-2016

"Alors!? Comment s'est passée la récolte?"

C'est la question que tous nos proches et connaissances nous posent chaque année, mais c'est aussi la question qui va presque remplacer le "Comment ça va?" à chaque fois que l'on va croiser quelqu'un au village!

Parce que la cueillette des olives, c'est plus qu'une histoire de quantités, c'est aussi un "événement social", presque un rituel qui se répète chaque année.

La quasi-totalité des habitants de Zakros ont des oliveraies qui se sont transmises de génération en génération. "Les olives" sont un point commun entre tous ces villageois qui se sont mis en coopérative.

Il y a ceux qui vont attaquer tôt leur récolte, préférant une olive plus verte mais plus belle, ne prenant pas le risque de perdre une partie de leur récolte à cause de la mouche de l'olivier ou du mauvais temps des mois d'hiver. D'autres commenceront plus tard, préférant une olive plus noire et donc proportionnellement plus chargée en huile...

Après les discussions vont se porter sur la performance d'une machine plutôt qu'une autre, sur la qualité et les dimensions des filets, sur le nombre des travailleurs à embaucher, etc. Les femmes parleront plutôt entre elles des différents plats qu'elles vont cuisiner...Les conversations vont donc bon train dans les cuisines ou au kafenion avec ce même sujet repris et répété chaque année : La récolte des olives!

Nous avons commencé parmi les premiers ce 5 novembre 2015 pour une récolte d'un mois à peu près. Et même si nous avons eu moins de fruits que l'année passée qui était notre année record, nous sommes très contents du résultat! Surpris par la quantité d'huile donnée par les fruits. Une bonne et belle année donc... avec une super équipe enthousiaste et efficace! Il y avait, en plus de Bertrand et moi, Markos, notre ami grec du village, Valentino son beau-frère albanais et Emma jeune étudiante française : une équipe multi-culturelle avec qui on partage de beaux souvenirs de récolte. Des moments de partage, de fous rires, de discussions sérieuses, de moments physiquement durs, de fatigue, de dépassement de soi, de forte chaleur (l'été en novembre..!), d'entraide....!

Il y avait donc Emma, jeune étudiante, en année sabbatique, après un premier cycle d'études en psychologie, elle voudrait reprendre en septembre la sociologie. Elle avait envie de se rendre compte de l'état du monde extérieur au monde étudiant. Envie aussi sans doute de faire une pause, de se faire sa propre opinion loin des théories, des livres. Elle s'est d'abord lancée dans plusieurs travaux saisonniers en France (vendanges, pommes) avant de venir jusqu'à nous. Emma a soif d'expérience, envie d'apprendre, envie de débattre de tout, de pouvoir donner son avis, de partager son enthousiasme. Ce que nous avons fait! Quand je pense à elle, j'entends son rire...! Puis il y avait Markos, vrai autochtone, qui n'est vraiment sorti de son village que pour aller en Albanie rendre visite à la famille de Téresa, sa femme, avec qui il a un petit garçon de dix ans. Markos tient avec sa femme un petit snack sur la place de Zakros, ouvert surtout l'été. C'est dur pour eux de joindre les deux bouts...venir travailler avec nous avant d'attaquer ses propres olives lui permettra de rembourser un peu de ses nombreux prêts. Plusieurs fois, la banque l'appellera dans les olives pour lui rappeler ses échéances.... Et malgré tout cela, c'est lui qui a insisté pour amener un lapin en casserole pour fêter le dernier jour des olives! Un moment magique quand la dernière olive a roulé sur les filets vers 11h du matin et que l'on a ouvert une bière belge avant de prendre un verre de vin pour accompagner le lapin...et tout cela en chansons parce que Markos est un très bon chanteur de rebetiko. Il y avait aussi Valentino, "l'albanais", le beau-frère de Markos qui vit depuis 20 ans en Grèce. C'est à lui aussi qu'il arrive les histoires les plus absurdes dues à l'administration grecque...Quand il travaillait dans les olives, il allait tous les soirs après sa journée de boulot jusqu'à la ville la plus proche (Sitia, à une heure d'ici) prendre des leçons pour son permis de conduire théorique... Cela fait 20 ans qu'il conduit mais depuis l'année passée, son permis n'est plus reconnu par l'Etat grec...! Et bien sûr ces leçons ne sont pas gratuites...! Mais dans toutes les histoires qu'il racontait, on sentait l'injustice, on sentait que ses problèmes étaient toujours liés à son statut d'étranger. Il est marié à une albanaise et a une petite fille de 4 mois. Il paie un avocat depuis son mariage pour essayer que sa femme ait les mêmes droits que lui, mais rien n'est définitif, ni jamais acquis. Tout est toujours à recommencer, à payer. Et il travaille pour essayer de s'en sortir : dans les olives mais aussi toute l'année comme aide-berger et toute la saison touristique comme serveur. Cela lui fait des horaires incroyables. Valentino ne se plaint pas. Il raconte les faits, c'est tout. Se sent responsable de sa famille et est heureux comme tout d'avoir une petite fille qui lui fait tout relativiser.

J'avais envie de présenter tout le monde parce que cette récolte des olives, c'était beaucoup de boulot et une bonne ambiance.

Mais surtout une belle aventure humaine basée sur le respect de nos différences.