30 Mai 2013
Nous n'avions jamais pris de travailleurs saisonniers pour nous aider à la récolte. Nous avions toujours calculé que nous ne pouvions pas nous permettre de payer des travailleurs. Et en dehors de l'aspect économique, nous n'avons pas la place pour les loger ni l'envie de nous soumettre à des horaires stricts de travail (impossible avec les filles et les horaires fluctuants de l'école).
Mais cette année de récolte (2012-2013) a été exceptionnelle, nous n'avions jamais vu nos arbres aussi chargés!
On s'est vite rendu compte que l'on aurait besoin d'aide. On a pensé demander à un travailleur bulgare ou albanais, soit déjà installé dans le village (que l'on connaît bien pour la plupart, mais ils étaient aussi très demandés), soit prendre un saisonnier dans ceux qui ne viennent au village que pour la saison des olives. Mais toujours le même problème : on habite à 4km du village, les horaires de travail ne correspondent pas aux horaires d'école et il faut qu'ils logent au village...donc cela nous aurait fait beaucoup de route et de temps perdu.
La solution est arrivée sous forme de mail :
"Bonjour, nous sommes deux français, nous cherchions du travail pour ramasser des olives en Espagne et nous sommes tombés sur votre sympathique site. D'où notre question : Avez-vous besoin de la main d'oeuvre de jeunes hommes motivés? N'hésitez pas à nous répondre sur ce mail. A très bientôt. Amaury et Nicolas."
J'ai eu envie de parler d'eux parce que leur histoire n'est pas banale. On s'est parlé plusieurs fois au téléphone et puis un jour ils sont arrivés, finalement à trois : Nicolas, animateur; Amaury, animateur et Morvan, charpentier (surtout les chantiers bateaux). Amaury et Morvan, tous deux bretons se connaissent depuis longtemps et Nicolas est originaire de Normandie. Deux points communs importants pour tenter l'aventure des olives : ils ont tous les trois un camion (genre mini-bus) aménagé et se sont connus dans les vendanges.
Ils ont choisi de ne partir qu'avec un seul camion (celui d'Amaury) et partis de Bretagne, après un crochet par la Normandie, ils sont descendus vers le sud et ont débarqué du ferry à Héraklion un jour de décembre.
Et ils se sont vite retrouvés dans les olives...d'abord chez nous pour un petit "écolage" :
C'est le premier jour, la lumière est très mauvaise, on a fini la journée sous la pluie, Morvan tient le filet, Amaury et Nico se demandent si Bertrand va redescendre de son arbre... Nous ne voulions prendre qu'un travailleur à la fois et finalement, c'est Nicolas et Amaury qui sont restés, un jour l'un, un jour l'autre. Morvan est reparti très vite en France.
Nicolas
On travaillait ensemble la journée, les filles les appelait : "les jeunes" et le soir (sauf dans le cas d'une petite fête), chacun rentrait chez soi. "Les jeunes" garaient le camion dans nos oliviers, mais aussi en bord de mer ou encore au village de Zakros. Ils sont restés tant qu'il y avait du travail. Dans les olives mais après ils ont un jour repeint de vieux volets et puis ont enchaînés toutes sortes de travaux de peinture. Ils se sont arrêtés pour se mettre en route et faire le tour de l'île.Ils sont repassés nous dire au revoir fin avril et ils sont, depuis, rentrés en France, continuant chacun leur chemin.On sait déjà qu'Amaury revient en août en Crète animer une colonie de vacances!
Amaury
Petite interview (je leur ai posé mes questions à chacun séparément) :
Je leur ai demandé ce qui les avaient décidé à partir pour la Crète? Mais aussi comment ils en étaient arrivés aux travaux saisonniers? Pourquoi le choix d'un camion aménagé? Ce qu'ils ont pensé la veille du départ? Est-ce que la récolte des olives leur a semblé difficile? Comment ils ont trouvé le village de Zakros? Les gens? Est-ce qu'ils pourraient imaginer vivre ici? Est-ce qu'ils ont des projets précis pour l'avenir? Est-ce que leur manière de voyager leur donnent l'impression d'être libres? La solitude ne leur manque-t-elle pas? Comment se voient-ils à 40 ans?
Nicolas (27ans) : " J'ai travaillé 9 ans comme animateur avec surtout de jeunes adultes handicapés. Un jour j'ai eu envie de respirer, de faire autre chose. Je suis issu d'un monde rural. Cela m'a semblé naturel de me tourner vers les travaux saisonniers. Cela m'a permis de bouger, j'étais frustré à l'époque de ne pas avoir encore beaucoup voyagé. La Tunisie, Madère, l'Angleterre et la France. C'était bien de pouvoir bouger selon les saisons, les récoltes, pour mieux connaître la diversité des régions. Et de bouger avec un camion (un petit volkswagwen) m'apportait aussi l'autonomie et un changement de vie. C'est d'ailleurs comme cela que j'ai rencontré Amaury et Morvan.
On voulait aller en Espagne, mais il n'y avait pas de boulot. On est tombé sur votre site. Au début cela nous a semblé vraiment très loin. Traverser la mer...Puis petit, à petit, le fait d'avoir eu Bertrand au téléphone, de savoir qu'on connaîtrait des gens sur place, cela devenait faisable. Quand les gars sont arrivés chez moi, c'était la fête. On allait embarquer à trois. J'ai pensé à prendre des vêtements de travail, une pierre à feu, un coupe-coupe, une pelle, de bonnes chaussures, la guitare, la musique, les films (je ne m;endors pas sans avoir regardé un film) et donc le PC. On a foncé.
J'ai pris la claque quand on est arrivé. Différent de ce que j'en attendais. Le relief...le climat...la rencontre avec vous.
Pour le travail dans les olives, je ne m'attendais pas à grand-chose, faut le pratiquer pour savoir. Mais j'ai trouvé que c'était plus sauvage que ce que je connaissais, le fait d'être dans les oliviers toute la journée. Un coup à prendre, faut de la pratique. Et j'aime porter les sacs!
Quant au village, ils ont l'habitude de voir des ouvriers ou des touristes, chacun gère cela à sa manière comme partout. Mais c'est la rencontre avec les ouvriers bulgares qui m'a étonné, on a de vrais liens solides avec eux. Pour nous qui sommes à leurs yeux a priopri de petits occidentaux capitalistes.
J'aime bien de voyager en camion, tu as ton petit chez toi. Cela m'a aussi amené à mieux savoir quel genre de liberté je voulais, cela m'a amené à y réfléchir. La liberté peut provenir du fait que tu peux changer de travail. Et puis on a moins de besoins, on fait des rencontres plus enrichissantes. On peut comprendre qui on est, qui on aimerait devenir. J'ai beaucoup moins été seul depuis que je suis en camion. Et avec Amaury, on est OK. On respecte le calme de l'autre.
J'ai eu plus l'impression d'évoluer en un an de camion que sédentaire huit années.
Vivre en Crète un jour? C'est pas exclu mais pas actuellement, encore trop envie de voyager. C'est pourtant un endroit magnifique, encore sauvage qui pourrait correspondre...Mais ce serait dommage de déjà s'arrêter. Plus tard...trouver un bout de terrain...
Après les olives, on visite la Crète en touriste. Il faut que je rentre en France en mai pour l'anniversaire de mon meilleur ami qui vient d'être papa. J'ai du travail prévu pour le mois de juin, du boulot sur mon camion, les tomates ...
Comment je me vois à 40 ans? Vivant et heureux!
Amaury (26 ans) : "Je suis animateur depuis 10 ans, j'ai été huit mois en Haïti, aussi au Maroc, en Espagne, au Portugal, en République Dominicaine, et maintenant l'idée c'est un tour d' Europe en camion.
Je suis devenu travailleur saisonnier par hasard. Il y a un site pour animateurs sur internet avec des propositions d'animations et cette fois-là, il y a avait une annonce pour faire les vendanges en Champagne avec un salaire de 100 euros par jour...quand le quota est atteint. Une annonce égarée mais réelle. J'y ai amené Morvan. C'était un changement pour moi, sauf qu' on s'est retrouvé qu'avec des animateurs! On s'est organisé avec une voiture, une tente.
Et alors il y a eu l'idée du camion, pour pouvoir bouger, rencontrer d'autres qui ont aussi un camion, trouver du travail, faire des économies...il y a moins de pression, pas de responsabilité, plus d'insousciance, de liberté. Tu es toujours chez toi dans ton camion, tu fais ce que tu veux et à moindres frais...donc pas besoin de travailler trop...
Puis il y eu l'idée d'aller en Espagne, mais il n'y avait pas de boulot alors en cherchant sur internet, on est tombé sur votre site et tout s'est enchaîné...On a choisi mon camion, on a fait une super fête à Rennes la veille, on a pris Nico et on est partis. Aucune appréhension.
Très surpris par la Crète. Agréablement surpris. Un manque de contact. J ' aurais été seul, cela aurait été différent pour les contacts. En fait tu es moins seul quand tu voyages seul. Les gens viennent plus facilement vers toi et vice-versa. C'est la première fois que je suis avec quelqu'un aussi longtemps, mais c'est OK.L'adaptation est bonne. On se laisse des libertés avec Nico. Notre relation avec les bulgares c'est un peu étonnant. Sinon excellent. Du travail et du bon temps. Maintenant cela va nous faire du bien de bouger, de visiter le reste de la Crète. C'est aussi passé super vite.
Le travail dans les olives est plus dur, plus balèze et plus technique que je ne pensais.
Je ne sais pas si je reviendrai, j'ai trop envie de bouger. Je vais continuer mon petit bout de chemin, je voudrais rentrer en France pour le mariage d'amis proches, j'ai du boulot prévu. Mais quand même, oui, je pourrais imaginer vivre en Crète. J'aime bien partir pour revenir aussi.
Comment je me vois à 40 ans?
J'espère vivre jusque là, je t'avoue... Allez je me vois, bien posé, près d'une plage au bord de la mer...à construire des pirogues?? " Rires.